Le « procès EADS » a été ouvert le vendredi 3 octobre 2014 concernant des prétendus délits d’initiés remontant aux années 2005 et 2006, de la part de cadres, d’anciens cadres du groupe, et des sociétés Lagardère SCA et Daimler AG (anciens actionnaires).
Un délit d’initié vise le cas où une personne achète ou vend des valeurs mobilières (actions ou obligations), grâce à des informations auxquelles le public n’a pas accès, grâce à sa fonction ou lors de l’exercice de ses fonctions. Cette personne tire ainsi un profit injustifié des transactions effectuées.
Les prévenus auraient vendu des stock-options, tandis qu’ils détenaient des informations pouvant influencer le cours des actions EADS.
Le 22 mai 2006 l’Autorité des Marchés Financiers (AMF) a ouvert une enquête, tandis que le Parquet de Paris a ouvert une information judiciaire concernant ces faits le 23 novembre 2006.
La Commission des sanctions de l’AMF en 2009 n’a pas retenu le délit d’initié, en considérant que les personnes concernées ne disposaient pas de suffisamment d’informations pour caractériser ce délit.
Quant au procès pénal, le Mercredi 17 décembre 2014, la Cour de cassation a décidé de transmettre au Conseil Constitutionnel une Question Prioritaire de Constitutionnalité. A savoir, si la procédure devant le juge pénal ne violait pas le principe selon lequel « nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement à raison des mêmes faits », suite à la décision de l’Autorité des Marchés Financiers. Ce principe également connu sous la dénomination « non bis in idem ».
La Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) a eu l’occasion de répondre à cette question le 4 mars 2014, confirmée par la décision de la grande chambre du 7 juillet 2014. Elle a considéré que la décision d’une autorité administrative, en l’espèce une décision de la CONSOB (équivalent de l’AMF en Italie), relative à des délits d’initiés également, ne pouvait se cumuler avec un procès pénal.
Dans cette affaire, le gouvernement italien s’était prévalu de l’article 50 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne qui autoriserait le recours au cumul de sanction administrative et pénale concernant les « conduites abusives sur les marchés financiers » et ainsi veiller à leur intégrité. La Cour n’a pas pour autant retenu cette analyse. Pour cela, elle se fonde sur l’article 4 du Protocole n°7 qui stipule que « nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement par les juridictions du même Etat en raison d’une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif conformément à la loi et à la procédure de cet Etat. ».
Cette décision va à l’encontre du droit français. La France avait notamment émis une réserve lors de la signature de ce protocole en précisant que « seules les infractions relevant en droit français de la compétence des tribunaux statuant en matière pénale doivent être regardées comme des infractions » au sens du protocole. Permettant ainsi de cumuler une procédure devant une Autorité Administrative et un procès pénal.
Le Conseil Constitutionnel, dans sa décision du 28 juillet 1989, avait prévu que le principe non bis in idem ne s’applique pas « au cas de cumul entre sanctions pénales et sanctions administratives », dès lors que le cumul des sanctions respecte le principe de proportionnalité des peines. Etant précisé que « le montant global des sanctions éventuellement prononcées ne dépasse pas le montant le plus élevé de l’une des sanctions encourues ».
Le Conseil Constitutionnel devra donc établir si la remise en question d’une décision d’une Autorité Administrative Indépendante par l’ouverture d’une procédure pénale, viole le principe non bis in idem.
Charlène CHEVALIER, Juriste
Sources : www.lemonde.fr, « Délits d’initiés : le procès EADS n’est pas près de reprendre », Audrey Tonnelier, 17 décembre 2014 ; www.lemonde.fr, « Le « procès EADS » en cinq questions », AFP, 1er janvier 2014 ; www.lexisnexis.com ; www.conseil-constitutionnel.fr