En avril 2020, le Ministre de l’Économie et des Finances a formulé une interdiction de principe à destination des grandes entreprises ayant fait appel aux aides d’État pour leur trésorerie. Ainsi, celles qui auraient eu recours au chômage partiel devraient, soit faire preuve de « modération », soit « d’exemplarité » en choisissant de ne pas de dividendes à leurs associés.
Ainsi, certaines entreprises ont décidé de ne pas verser de dividendes au titre de l’exercice 2019 en réponse à l’annonce du gouvernement selon laquelle aucune opération de rachats d’actions ou de distribution aux actionnaires ne sera tolérée eu égard à leur caractère prétendument incompatible avec le bénéfice du soutien de la trésorerie de l’État.
Étant donné que cette sommation n’a pas été suivie de texte, il semble légitime de se poser la question de savoir si les entreprises sont réellement tenues par cette interdiction.
Il convient alors d’examiner nos précédents jurisprudentiels français afin de savoir si, sans texte, une faute de gestion pourrait être reprochée au dirigeant d’une entreprise qui aurait distribué des dividendes alors que son entreprise était en difficulté.
Ainsi, rappelons qu’un récent arrêt rendu par la Chambre sociale de la Cour de cassation ce 4 novembre 2020 (n° 18-23.029) avait, sur le fondement de l’article 1833 du Code civil portant sur l’intérêt socialet son impératif de prendre en considération les enjeux sociaux liés à l’activité de l’entreprise.
Par cet arrêt, la Chambre sociale n’a pas hésité à affirmer que la faute de l’employeur à l’origine d’une menace sur la compétitivité de l’entreprise et rendant nécessaire sa réorganisation est de nature à priver de cause réelle et sérieuse les licenciements consécutifs à cette restructuration, conformément à sa jurisprudence antérieure. En effet, par le passé, la Cour a pu prendre en compte déduire à la faute de l’employeur dans le cadre d’un licenciement économique (Cass., soc., 24 mai 2018, n° 17-12560) ou encore dans le cadre de la liquidation judiciaire de la société (Cass., soc., 8 juillet 2018, 18-26.140).
Ainsi, nous comprenons que ce n’est pas le versement des dividendes qui constitue à lui seul le fait générateur de la faute de gestion, mais plutôt sa conséquence, celle d’avoir causé un préjudice économique à l’entreprise, revêtant la forme d’un licenciement économique, d’une restructuration impliquant des licenciements ou encore d’une ouverture de procédure de liquidation judiciaire.
Il s’agit sans nul doute d’un témoignage de la timidité de la Haute Cour à reconnaître explicitement qu’il existe un intérêt commun aux associés et salariés que l’entreprise en tant qu’acteur économique se voit obligé de préserver. Il est vrai que l’on aurait du mal à expliquer comment elle pourrait faire de la prise de risque, soit une implication essentielle en termes de gestion normale d’une entreprise, une faute de gestion. Pour que le versement de dividendes soit considéré comme une faute de la part du dirigeant, il est nécessaire que le préjudice du ou des salariés soit corrélatif à cette décision de versement. Autrement, sanctionner le dirigeant ne pourrait être envisageable, encore moins sans texte.
A l’aube de cette nouvelle année, nous n’avons aucune nouvelle du projet de loi pourtant annoncé, ce qui doit toutefois inciter les entreprises à rester aux aguets.
Nous pouvons supposer, néanmoins, que ce retard dans l’adoption d’un tel texte s’explique par la difficulté à établir l’incompatibilité du versement de dividendes avec le recours au chômage partiel. Rappelons, à ce titre, que les dividendes ne sont versés qu’après règlement des salaires, des impôts, des intérêts de la dette. De plus, le bénéfice du dispositif de chômage partiel est justifié par l’opposition d’arrêtés de fermeture de certains établissements et par des baisses d’activité directement liées à la crise sanitaire.
En aucun cas, il n’a été requis que la baisse d’activité en question et donc le déclin du chiffre d’affaires qui s’y rapporte aient impacté le droit à rémunération des associés sous forme de dividendes. Dans notre économie, toute société peut choisir d’en distribuer ou non.
Ainsi, s’interdire de verser des dividendes supposerait de consentir à une immixtion exceptionnelle de l’Etat dans la gestion des entreprises et accepter le principe selon lequel, en temps de crise, celles-ci doivent faire preuve de circonspection dans leur recherche de rentabilité et de croissance actionnariale.
Par conséquent, prendre au pied de la lettre l’interdiction pourrait être fortement dangereux pour l’intérêt des entreprises dans leur ensemble. Cela reviendrait à reconnaître que la création de valeur, la maximisation du profit, le renforcement de l’actionnariat sont des objectifs subsidiaires et subordonnés au bien-être des salariés, soit un postulat encourageant pour l’avènement d’un capitalisme responsable mais qui, au demeurant, ne dispose d’aucun fondement légal ou jurisprudentiel catégorique. Ce thème sensible de l’interdiction des versements de dividendes en temps de crise est suivi de très près par nos avocats qui ne manqueront pas de vous tenir informé des évolutions futures.